Djuna Bernard : « Je n’ai pas encore fini ce que j’avais à faire »

A l’approche des élections communales et législatives, la plus jeune vice-présidente de la Chambre des députés de l’histoire du Luxembourg et co-présidente de Déi Greng, se confie sur les ambitions de son parti, sur les enjeux du moment, la crise du logement, le nucléaire, la place des femmes en politique et revient sur son expérience personnelle.

Quels sont selon vous les principaux enjeux des prochaines élections, les communales en juin et les législatives en octobre ?

Surtout cette année, on voit vraiment le lien entre les deux élections, de façon très claire. Les défis de notre société au niveau national, ce sont la crise climatique, la crise de la biodiversité, la crise du logement, des inégalités croissantes au Luxembourg. Ce sont pour moi les quatre grands sujets qui vont dominer la campagne et qui sont très importants pour notre parti, Déi Greng. Et je pense qu’en regardant notre programme cadre que nous avons publié pour les élections communales, beaucoup de ces défis nationaux se transposent, se retrouvent à l’échelle locale. On ne peut pas exclure les communes de leurs responsabilités par rapport à ces questions fondamentales. Elles peuvent faire notamment beaucoup par rapport à la question énergétique (installation de panneaux solaires sur les bâtiments publics, distribuer des subsides aux particuliers qui participent activement à cette transition énergétique, agir sur l’aménagement du territoire en prenant en compte la biodiversité, avoir une végétation vivante, éviter de trop bétonner, etc).

Sam Tanson sera tête de liste aux législatives. Vous, vous vous représentez dans la circonscription Centre. Quels objectifs politiques se fixent les Verts lors de ces élections ?

Pour commencer, en tant que parti en responsabilité depuis dix ans, on veut évidemment y rester, ça c’est clair. Et on ne veut pas que le rester… il est important que les gens qui veulent que nos sujets prennent davantage de place, ils doivent nous soutenir davantage encore dans les urnes. On est aujourd’hui dans une coalition à trois, on ne peut pas toujours faire ce que l’on voudrait. On n’est pas dans une dictature verte, il s’agit toujours d’un compromis entre nous. Mais si les gens veulent plus de politique verte, il faut voter pour nous. On a eu neuf sièges la dernière fois, c’était un super bon résultat, on avait fait un saut de six à neuf. Là, l’objectif est d’au minimum garder ses neuf sièges et même d’en avoir plus.

Vous avez parlé de Sam Tanson, c’est un nouveau pas pour Déi Greng d’avoir une candidate d’envergure nationale. Je pense qu’avec elle, on a une personne qui a vraiment prouvé lors des cinq dernières années sa très grande compétence, de façon indiscutable, que ce soit dans le domaine culturel ou judiciaire. Elle s’est lancée sur des grands sujets comme la relance du patrimoine culturel qui était à l’arrêt depuis vingt ans ; sur le plan de la justice, elle a beaucoup travaillé sur la protection des mineurs. Elle a prouvé sa compétence et a affirmé sa vision politique et je pense qu’elle est vraiment la candidate parfaite pour être une leader pour Déi Greng et être une tête visible, connue, à laquelle les électeurs peuvent s’identifier.

« Il y a 20 ans, quand on abordait ces problématiques, tout le monde rigolait et se moquait de nous, on nous disait que la crise climatique n’existait pas et qu’on exagérait »

Djuna Bernard, en évoquant Déi Greng

Quel bilan faites-vous de votre mandat au sein de la majorité ? Les problématiques écologiques et environnementales que vous défendez ont-elles été assez prises en compte par ce gouvernement ?

Evidemment, on défend ce bilan car on s’est occupé de nombreux sujets que les deux autres partis de la coalition nous ont laissé, sur le mode « ça c’est pour Déi Greng » (logement, climat, mobilité, etc). Des sujets que beaucoup ne trouvent pas très sexy, sur lesquels il faut bosser dur. On a une ambition, on a une vision et on a surtout une grande responsabilité envers les générations futures de changer quelque chose. La crise du logement, elle est là parce qu’on n’a pas anticipé le développement. La mobilité c’est pareil. Et sur la crise climatique n’en parlons pas… Déi Greng fête ses 40 ans cette année et il y a 20 ans, quand on abordait ces problématiques, tout le monde rigolait et se moquait de nous, on nous disait que la crise climatique n’existait pas ou qu’on exagérait. On a réussi, avec le temps, à créer un changement de paradigme. On n’est pas encore là où on devrait être et dix années, ça ne suffit pas pour changer le monde. Des réformes importantes ont été entamées, mais dans le domaine du logement par exemple, on ne verra les résultats que dans au moins cinq ans. Concernant la crise climatique, on a mis en place le PNEC (le Plan National Energie et Climat) avec une stratégie et des responsabilités claires attribués à plusieurs secteurs. Et pas plus tard que cette semaine, nous avons introduit une nouvelle version de ce PNEC, avec des ambitions qui vont plus loin que le texte précédent. Le Luxembourg a de grands défis face à lui, notamment en ce qui concerne notre empreinte carbone et nous devons faire davantage d’efforts.

Mais sur toutes ces questions, ou dans des domaines comme les inégalités, nous avons besoin d’une approche transversale. Les ministères doivent mieux travailler entre eux. Il n’y a que tous ensemble que nous pourrons changer les choses en profondeur.

A l’heure où la guerre entre l’Ukraine et la Russie révèle la nécessité absolue pour l’Europe de devenir davantage autonome sur le plan énergétique, où en êtes-vous chez les Verts concernant votre position sur le nucléaire ?

Elle est claire, Déi Greng est toujours pour la sortie du nucléaire. On continue de défendre ce principe très fortement. On a vu les derniers étés avec des températures très élevées les problèmes que cela pouvait provoquer sur certains réacteurs, on voit bien le danger que cela représente. Il faut changer cette dépendance au nucléaire. On est en temps de guerre et, justement, les réacteurs nucléaires sont des cibles potentielles et représentent un énorme danger. Pour nous, la seule solution se trouve dans les énergies renouvelables. Nous devons investir davantage et massivement dans ce domaine, et on aurait dû commencer à la faire beaucoup plus tôt. Il faut désormais rattraper le retard pris. Il existe une volonté de le faire aujourd’hui en Europe. Il faut utiliser toutes nos capacités scientifiques, qui existent déjà, et mettre une grande partie de nos moyens sur cet enjeu. Et ce sera plus rentable, des études le prouvent désormais, que le nucléaire.

« Il faut investir dans le logement public et activer les leviers de l’Etat »

Au sujet de la crise immobilière

Pour revenir à la question du logement, son coût est désormais exorbitant au Luxembourg, le nombre de logements disponibles est également insuffisant, tout cela risque de poser d’énormes problèmes au pays dans les années à venir… Jusqu’où doit-on aller politiquement pour tenter d’endiguer ce phénomène ?

Il s’agit en effet d’un énorme souci et d’un très grand risque par rapport à l’attractivité économique de notre pays. Plus personne ne veut venir travailler ici parce que le prix des logements est horrible. Moi, je suis jeune luxembourgeoise et à un moment on veut sortir de l’aide de papa et maman ! Les loyers sont déjà très très élevés et pour devenir propriétaire c’est encore pire. La situation s’est aggravée les douze derniers mois avec la crise. Que faut-il faire ? Il n’y a pas de solution magique en tout cas. Il faut investir dans le logement public et activer les leviers de l’Etat, que ce dernier devienne un acteur actif, car le marché privé n’est pas parvenu à régler ce problème d’offre et de demande. On fait déjà des efforts énormes en ce sens, mais les résultats ne se verront que dans quelques années.

L’autre question qu’il faut gérer est celle des locataires, et là on a beaucoup parlé de la loi bail à loyer. On a des chambres au-dessus des bars et des cafés qui sont vraiment insalubres et là il faut protéger les gens qui y vivent et qui sont souvent en situation de précarité et de vulnérabilité. Nous devons leur garantir un certain standard minimum, leur garantir des droits et les protéger. Pour les plus jeunes, nous devons également travailler sur des idées de colocation et améliorer le cadre légal. Nous devons également encourager la création de logements alternatifs, comme les tiny houses par exemple. Pour ces formes innovantes, les communes ont justement un rôle à jouer afin de réaliser des tests ou mettre en place des projets-pilotes. Henri Kox a déjà beaucoup travaillé sur ces questions. Nous devons désormais passer une étape supérieure.

Sur le plan financier enfin, nous devons activer des leviers en matière d’impôts pour faciliter l’accès à la propriété pour les jeunes générations. On doit faire tout cela tout en stimulant le marché, en gardant un équilibre. C’est un énorme défi et un sujet primordial pour mon parti.

Le déplacement des partis politiques afin de rencontrer les Luxembourgeois du Brésil a fait polémique chez certains. Est-ce que vous comprenez l’exigence d’une partie de vos concitoyens envers les Verts en matière de cohérence, entre la ligne idéologique fixée et les actes ?

Moi, je n’ai jamais entendu un membre de Déi Greng dire aux gens qu’il est interdit de prendre l’avion. Ce n’est pas notre discours. Il faut avoir un système de pollueur/payeur où les prix reflètent aussi l’empreinte carbone de chacun. Il faut investir sur les alternatives, comme les trains de nuit en Europe. Mais oui, je suis allée au Brésil pour une cause hyper importante et il fallait absolument y aller. C’était pas pour aller à la plage, mais pour une mission d’éducation politique essentielle envers des citoyens qui ont besoin de connaître leurs droits et aussi leurs devoirs en tant qu’électeurs.

Je suis vice-présidente de la Chambre, je dois parfois me déplacer en avion pour des missions diplomatiques, cela fait partie de mon boulot. Et qui plus est, je ne vois pas pourquoi nous, Déi Greng, on devrait être davantage ciblés par ce type d’attaques que les autres partis. Et ce n’est pas en montrant du doigt Déi Greng sur des choses comme ça que l’on va sauver la planète ! Pour conclure, je reste convaincu de la nécessité de ce déplacement et je n’ai aucun regret.

« Il faut que tout le monde fasse des efforts pour retrouver une culture du débat politique apaisée »

Le climat autour des Verts, et pas qu’au Luxembourg, peut souvent s’avérer assez violent. Ces derniers mois, les attaques féroces de vos adversaires politiques n’ont cessé de se multiplier. Comment le vivez-vous et comment l’expliquez-vous ?

Nous sommes un parti qui n’a pas peur de provoquer le changement et cela dérange. Le changement, ce n’est souvent pas quelque chose de confortable pour les gens, il bouscule. Mais c’est notre responsabilité politique de proposer ce changement et des alternatives. Cela fait peur à certains. Et c’est plus facile de nous coller des stéréotypes du style « Déi Gréng, ils interdisent tout ». On essaye de faire comprendre pourquoi le changement est nécessaire. Moi, je vois quand même une tendance forte favorable à Déi Greng, on a beaucoup plus d’adhérents, on est en progression constante, les gens acceptent de plus en plus nos sujets et les réalités que l’on aborde. Après il y aura toujours 10 ou 15% des gens qui détesteront les Verts… Mais nous devons être attentifs à la forme que prend le débat politique. Je vois souvent que les attaques sont dirigées vers les femmes, encore plus vers les femmes écologistes. Les réseaux sociaux n’aident pas à avoir un dialogue constructif. On peut ne pas être d’accord et débattre, mais la violence prend des proportions qui m’inquiètent. Il faut que tout le monde fasse des efforts pour retrouver une culture du débat politique apaisée.

Parlons justement de la place des femmes en politique et aux postes à responsabilité au Luxembourg. Quel état des lieux faites-vous de la situation et qu’est-ce qui ressort de votre expérience personnelle sur cette question ?

On a un peu plus d’un tiers de femmes au parlement, on n’a même pas encore la moitié des ministres qui sont des femmes. Et dans les conseils d’administration de nos entreprises ou de nos associations, on n’a pas encore une vraie représentation équitable des sexes. On a fait des énormes pas en avant, et je suis très fière car je pense que mon parti contribue activement là-dessus ; on a des quotas dans notre fonctionnement interne, on a une co-présidence homme/femme, au niveau de nos ministres les choses sont équitablement réparties, on a même une surreprésentation dans notre groupe parlementaire avec six femmes et trois hommes. On montre que c’est faisable. Je ne peux plus accepter d’entendre des partis dire « oh mais c’est tellement dur de trouver des femmes ». Je pense qu’il s’agit vraiment d’une question d’organisation interne et de culture, de volonté. Si on se contente de chercher deux semaines avant les élections une femme pour la mettre sur la photo, ça ne marche pas. Moi, des personnes comme François Bausch m’ont approchée, ont cru en moi, m’ont encouragée à partager mes idées, à prendre la parole. Je veux que mon exemple montre aux femmes que c’est faisable. Cela ne se fera qu’avec un changement de mentalité et de fonctionnement dans les organisations.

« Je suis ouverte, même à davantage de responsabilités »

Vous êtes la plus jeune vice-présidente de la Chambre des députés de l’histoire du Luxembourg. Vous aviez 26 ans lorsque vous avez été élue députée. Avec du recul, vous voyez plutôt cela comme une chance ou comme un handicap ?

Je vois cela comme une chance ! Je suis convaincue qu’il faut une représentation équilibrée des générations et de la population en général par rapport à la diversité, au sexe, aux orientations sexuelles, aux croyances, à tout. C’est vraiment important que le parlement soit le reflet de ce qu’est la population. Notre parlement manque encore de jeunes ! Ils ont leurs propres préoccupations. Sur le logement par exemple, mes collègues étaient tous propriétaires de logements qu’ils avaient achetés il y a trente ans, à un moment où le marché immobilier n’avait rien à voir avec ce que vit ma génération aujourd’hui. Sur le changement de paradigme concernant les orientations sexuelles ou les questions de genre notamment, les nouvelles générations n’ont pas les mêmes réflexes. Mais au parlement, je vois qu’il y a une solidarité entre jeunes, au-delà de l’appartenance partisane. Nous devons faire en sorte qu’il y ait encore plus de jeunes investis et convaincus sur nos listes.

Vous avez franchi les échelons très vite, votre arrivée en politique reste finalement assez récente. Quelles sont vos ambitions sur le moyen et le long terme ? Comment vous projetez-vous dans l’avenir ?

Être élue en 2018, c’était la plus grande surprise de ma vie. Je ne m’y attendais pas du tout. Je suis entrée au parlement quand Sam Tanson est devenue ministre. Il y a toujours des moments où j’ai du mal à réaliser en me retournant… J’ai appris que je ne peux rien planifier à l’avance dans ma vie, la politique c’est un CDD. J’ai été élue pour cinq ans, renouvelables certes, mais il se peut qu’en octobre je me retrouve à de nouveau chercher un emploi. J’espère que je serai réélue parce que je n’ai pas encore fini ce que j’avais à faire, j’ai appris beaucoup de choses, j’ai entamé des réflexions internes, j’ai mis en route des lois qui me tiennent particulièrement à coeur. J’ai envie de continuer. Je suis ouverte, même à davantage de responsabilités.

Propos recueillis par François Pradayrol

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