Chroniques géorgiennes : J-1

2e jour du carnet de bord à Tbilisi au coeur de la délégation des Roud Léiwen à la conquête de l’Euro. Au programme : conférence de presse et reconnaissance du terrain.

Mercredi 20 mars 2024. Tbilisi. 8h heure locale.
Le réveil fut difficile après une nuit bien courte, avortée par le jour qui s’est levé vers 4 heures du matin à la montre encore réglée à l’heure de Bruxelles. Sur la moquette feutrée du Marriott Hotel, les plus matinaux comme le président Paul Philipp viennent de s’installer pour déguster leur premier café. Le ciel est gris, il pleut légèrement, on sent une atmosphère d’attente et de silence, comme si tout l’établissement, y compris les touristes, avaient conclu le pacte secret de réunir les conditions pour que les Roud Léiwen soient déjà dans leur bulle.

Pour les soutenir dans leur condition physique, laissons l’écran de côté le temps de quelques heures et déambulons à travers les rues de Tbilisi, en partant de l’avenue Shota Rustaveli où se trouve l’hôtel. Une sorte de Champs-Élysées géorgiens, avec ses multiples musées, ses grandes boutiques mais aussi ses bouquinistes et ses passages souterrains pour traverser le boulevard. La capitale est située dans un cuvette, entourée de collines et montagnes aux sommets enneigés,  et en grimpant les petites ruelles typiques, on s’aperçoit du véritable carrefour de toutes les civilisations qu’est la Géorgie : architectures austères soviétiques, influences orientales ou slaves, aucun quartier ne se ressemble. Après un peu moins d’une heure de marche dans des lacets pentus n’ayant rien à envier aux cols hors catégorie du Tour de France, on parvient au sommet du promontoire de l’église Mama Daviti, pour une vue à couper le souffle sur la capitale depuis le Panthéon situé sur le versant du mont Mtatsminda.

En redescendant, je m’aperçois qu’aux balcons, on ne croise que peu voire aucun drapeau géorgien, contrairement aux drapeaux ukrainiens qui fleurissent aux côtés de messages anti-russes. Beka et Nikolas, deux locaux de 15 et 17 ans qui sortent du lycée, confient qu’ici le sport national c’est la lutte. Bien sûr, ils sont passionnés de football, comme la plupart des garçons de leur âge, mais ils suivent les grands clubs européens et n’ont pas l’audace de croire en leurs chances de qualification. En creusant un peu, on se rend compte que ce ne sont pas spécialement les Lions Rouges qui leur font peur, mais ces deux victoires consécutives obligatoires. Gageons que c’est de bonne augure pour nous.

Repas bien mérité de spécialités gastronomiques géorgiennes (khatchapouri et tchourtchkhela), ce que les joueurs n’auront pas le plaisir de connaître. En effet, Luc Holtz a retenu les leçons d’expériences passées et ne veut prendre aucun risque d’indigestion ou d’intolérance aux traditions culinaires exotiques : la fédération s’est déplacée avec son propre cuisinier.

Derniers moments de détente pour les joueurs avant d’entrer dans le vif du sujet. On se chambre, l’ambiance est décontractée. Le soleil a même fait une timide apparition avant le départ pour le stade.

Lors de la conférence de presse organisée à Boris-Paichadze, l’enceinte du Dinamo Tbilissi, Yvandro Borges qui accompagne son sélectionneur l’assume devant un parterre d’une trentaine de journalistes : l’ambiance est très bonne au sein de l’effectif et ils ne ressentent pas de nervosité particulière. Malgré le jeune âge de certains, ils sont professionnels et habitués à jouer des matchs à enjeu dans leurs clubs respectifs. « Bien sûr, ce n’est pas un match comme les autres. » Yvandro mesure la chance et le privilège de disputer cette rencontre historique. Pour Luc Holtz, qui a assuré que le groupe était en excellente forme (« Personne n’est tombé dans l’escalier depuis hier! », plaisante le coach), si ce n’est l’inflammation du tendon d’Achille de Lars, les choix sont déjà faits : « J’ai une idée claire de ce que je vais mettre en place, il reste juste les derniers ajustements et vérifier qu’il n’y a aucun pépin physique. » Le onze de départ est fixé.

Au tour des confrères géorgiens, dont certains n’avaient pas hésité à arborer fièrement les couleurs de l’équipe nationale, et n’ont pas fait dans la dentelle : nous sommes accusés d’« excès de confiance » avec la vente des places pour le match du 26, d’amas d’« ensemble d’individualités sans être une équipe » (quoi de plus normal pour une sélection, dont forcément les meilleurs joueurs sont dans des grands clubs?), ou encore de travailler les pénaltys à l’entraînement ce qui trahirait une « volonté de jouer en totale défense »… Luc Holtz s’amuse de ces piques et il a bien raison. Rien ne pourra ébranler la motivation et la concentration de l’ensemble du staff. Ni la bonne humeur du groupe.

Alors vient le temps si sacré de la reconnaissance du terrain. Avant que les joueurs ne fassent leur entrée pour le quart d’heure d’entraînement ouvert aux médias, on sent immédiatement que ce stade n’est pas comme les autres. Il est vide, mais pourtant on le sent vibrer de l’intérieur. Les tribunes sont séparés du terrain par une piste d’athlétisme, et toutefois l’angle de vision est si obtus qu’on a l’impression d’être sur la pelouse. Un écrin prêt à exploser demain soir. Ou être douché par des Roud Léiwen féroces, eux qui ont été surpris par l’arrosage automatique du terrain en plein échauffement à la nuit tombée. De quoi montrer les crocs.

Mais il est déjà temps de les laisser dans l’intimité toute relative de l’entraînement censé être à huis clos. Luc Holtz le sait : nul n’est jamais à l’abri des regards indiscrets… Ce n’est pas ce soir qu’il vendra la mèche.

Marco Noel

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