Les 30 qui font le football luxembourgeois : Flavio Becca (1er)

Adoré par certains, détesté par d’autres, Flavio Becca peut être certain d’une chose : il ne laisse personne indifférent. Après avoir offert des heures de gloire au F91 Dudelange, Flavio Becca s’apprête à offrir son premier titre au Swift Hesperange. Une consécration, avec des méthodes qui, comme toujours, divisent. 

Il est rare de demander l’opinion d’un bon nombre de personnes sur un même individu et de recevoir tant de réponses différentes. Louanges, critiques, interrogations : tout y passe. Ainsi en va-t-il de Flavio Becca et de l’aura qui l’entoure, jamais indifférente, toujours clivante. Alors, dans cette situation où tout un chacun se fend d’une opinion perpétuellement différente, n’est-il pas plus simple de s’arrêter sur les statistiques avant tout ?

Un palmarès qui ne souffre d’aucune contestation

Force est de constater qu’en partant de ce prisme, la réussite de l’homme d’affaires dans le monde du ballon rond est indéniable. Alors qu’il rejoint officiellement le F91 Dudelange à la fin des années 90, investissant de manière majeure dans le club de la Forge du Sud, les résultats viennent rapidement. Le magnat de l’immobilier insuffle vite de grands changements et permet à Dudelange de remporter son tout premier championnat dès 2000, grâce à un titre glané avec onze points d’avance sur la Jeunesse Esch. Le début d’une domination totale du football luxembourgeois pendant près d’une vingtaine d’années, symbolisée par quinze titres en BGL Ligue, et neuf succès en Coupe de Luxembourg. Un palmarès faramineux mais qui, paradoxalement, n’est pas à la hauteur du véritable exploit du F91 Dudelange : des qualifications, deux saisons consécutives, en phase de poules de la Ligue Europa. Une immense consécration pour Flavio Becca qui permet au Luxembourg de rayonner à l’échelle internationale. Ce que l’on croyait impensable jusque-là arrive : une équipe de BGL Ligue se retrouve sur la pelouse de San Siro, Sánchez Pizjuán et Benito Villamarín. Cinq ans plus tard, cette épopée demeure, encore aujourd’hui, comme le plus grand moment de l’ère Becca sous Dudelange, voire, tout simplement, l’un des plus grands faits d’armes du football luxembourgeois.

Malgré ce palmarès éloquent, l’aventure avec le F91 Dudelange va s’achever à la surprise générale. La commune ne soutenant pas le projet de nouveau stade proposé par l’homme d’affaires, celui-ci va prendre la décision de quitter le club et en reprendre un autre, lassé du manque d’ambitions de la ville. Son choix : le FC Swift Hesperange, club au palmarès quasi inexistant, alors pensionnaire de Promotion d’Honneur. Un an plus tard, voilà déjà le nouveau projet du mécène en BGL Ligue. Et, après quelques années à lorgner le titre, celui-ci est enfin en passe de le conquérir, après une saison de haute volée. Une progression fondamentalement faramineuse, mais qui, au vu des choix pris par le président officieux plusieurs fois ces dernières années, n’a clairement pas été assez vite. Remaniements d’effectif à grande échelle, changement régulier d’entraîneur, coups de gueule en tribunes : travailler avec Becca, c’est réaliser que les choses doivent tourner vite, et surtout, exactement comme ce dernier l’envisage. Sous peine de voir l’aventure s’arrêter au plus tôt, dans un élan de frustration, mais aussi, parfois, de soulagement. 

Ce qui amène souvent la question suivante à être posée par les observateurs et acteurs du ballon rond au Grand-Duché. Avec de tels moyens à sa disposition, aurait-il été possible de faire mieux ? À titre d’exemple, les tailles conséquentes des effectifs du F91 Dudelange ou du Swift Hesperange ont toujours interrogé. Au même titre que l’impatience légendaire de Flavio Becca qui, paradoxalement au regard de sa position de magnat de l’immobilier, préfère détruire plutôt que construire dans le football. Une soif de succès qui a pu pousser le richissime homme d’affaires à faire preuve d’une ingérence souvent jugée comme invasive au sein du groupe. Une attitude qui se vérifie parfaitement cette saison, à l’image des prises de bec régulières que n’importe quel supporter peut entendre dans les tribunes, entre le mécène et son entraîneur voire, parfois, ses joueurs. Le nombre d’entraîneurs venus et repartis est d’ailleurs symptomatique des difficultés à cohabiter avec cette ombre si présente. Jeff Strasser, Pascal Carzaniga à de nombreuses reprises, Vincent Hognon et tant d’autres : ils sont nombreux à ne pas avoir tenu plus d’une année sous sa tutelle, exaspérés par la politique d’ingérence de Flavio Becca. Et bon nombre de présidents de BGL Ligue, s’exaspèrent, ou ricanent, de la politique de transfert de l’homme d’affaires, qui consiste parfois à recruter simplement pour affaiblir la concurrence. Avec des groupes généralement composés de trente-cinq joueurs, la gestion de l’effectif est souvent un véritable casse-tête pour l’entraîneur, qui doit composer avec des recrues non désirées et des footballeurs sur lesquels il ne comptera jamais véritablement.

Des méthodes toujours controversées 

Il est toujours complexe de dire si cette pression étouffante au quotidien est l’explication derrière le succès de Flavio Becca, ou si elle freine fondamentalement les désirs de grandeur. Si les titres ont toujours été présents, le fossé sur le plan financier est tel, entre les clubs contrôlés par l’homme d’affaires et les autres, que l’on ne peut que se dire que les titres ne pouvaient que tomber. Mais comment critiquer un homme qui a réussi à mettre le Luxembourg sur l’échelle continentale, avec deux qualifications en phases européennes qui font encore briller les yeux de ceux qui y ont participé ?

Au-delà de ces belles réussites, il faut aussi ajouter que ces parcours, trophées et succès ont eu un rôle dans l’évolution du football luxembourgeois. Pour rivaliser, ils sont nombreux à avoir investi, augmentant ainsi la qualité du championnat. Et d’autres hommes d’affaires aux portefeuilles pleins ont pu reprendre certains clubs, rêvant sûrement d’un storytelling similaire à celui du F91 Dudelange, ou, dans les années à venir, du Swift Hesperange. On peut citer évidemment Gérard Lopez, Karine Reuter, ou plus récemment Fabien Zuili qui, sûrement influencés d’une manière ou d’une autre par l’ère Becca, veulent eux aussi créer une machine à l’emporter.

Dans une interview au Quotidien en 2021, Flavio Becca, pas réputé pour sa langue de bois, avait fait honneur à sa réputation en dézinguant l’état du football au Grand-Duché : « On vit encore trois siècles en arrière dans le football luxembourgeois. » Une prise de position manquant certes de tact, mais à bien des égards, pas loin de la vérité. Et l’on peut légitimement s’interroger sur l’état du football luxembourgeois si Flavio Becca, véritable dynamiteur, n’était pas passé par là. Car, quand bien même certains jugent et d’autres critiquent, le constat, implacable, demeure le même : la méthode Becca, si controversée soit-elle, apporte des résultats et secoue le microcosme du football au Grand-Duché.

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