Grand-Duc Henri : « Il est essentiel que les enfants fassent du sport »

Le mois dernier, SAR le Grand-Duc Henri nous recevait pour un entretien consacré à l’une de ses grandes passions: le sport. Ses 25 ans de présence au CIO, ses coups de cœur, ses souvenirs… Le chef de l’État revient sur de nombreux sujets.

Monseigneur, vous fêtez cette année 25 ans de présence au CIO (Comité international olympique), que retenez-vous principalement de ce quart de siècle passé au sein de la plus grande institution sportive mondiale ?

Cela a été un très grand honneur de reprendre la flambeau de mon père à Nagano en 1998. À l’époque, c’était encore M. Juan Antonio Samaranch, qui était le président du CIO. J’ai donc été
coopté au sein du Comité olympique à ce moment-là. Évidemment, le sport m’a toujours beaucoup intéressé, mais surtout les valeurs de l’olympisme qui sont importantes pour notre société : l’amitié, le courage, la solidarité, le respect des arbitres, le respect de soi, le respect des autres… Tout cela m’a beaucoup motivé à intégrer le Comité olympique. Ce sont des valeurs auxquelles je suis très attaché. J’ai pu participer à différents Jeux olympiques avant d’intégrer le CIO, au côté de mon père et de mes frères et sœurs, et j’avais cette fièvre de l’olympisme en moi. Participer activement au sein du CIO aux Jeux olympiques d’été, d’hiver et aussi aux Jeux paralympiques m’a beaucoup apporté. Dans les sessions du CIO, il y a eu une évolution gigantesque ces 25 dernières années. Le mouvement olympique a progressé de manière positive durant le dernier quart de siècle et je suis heureux d’y avoir contribué.

À Pyeongchang lors des Jeux d’hiver 2018, nous avons réussi à faire défiler sous la même bannière la Corée du Nord Et la Corée du Sud

Vous êtes membre de la Commission de la solidarité olympique depuis 1999, quel est le rôle de cet organe que le grand public connaît finalement peu?

La Commission de la solidarité olympique est la commission qui aide les athlètes, les dirigeants, et au-delà toutes les organisations sportives dans les pays moins développés ou en situation de conflit et qui ont des difficultés à subventionner l’entraînement de leurs athlètes. Elle finance massivement tous ces programmes continentaux à travers les CNO (Comités Olympiques Nationaux), et elle fait un travail remarquable. Entre 2021 et 2024, un budget de 590 millions de dollars a été mis en place pour aider les athlètes de ces pays et ainsi permettre la présence de tous les pays afin d’assurer l’universalité des Jeux. À côté de cela, il y a bien d’autres choses, comme la trêve olympique, mais aussi la constitution de  » l’Olympic Refugee Team « . Il a vu le jour pour la première fois lors des Jeux de Rio, et on a vu dans le stade Carioca l’incroyable engouement que cela a provoqué et l’accueil extraordinaire qui leur a été réservé. Il y avait même Yonas Kinde, un réfugié éthiopien désormais luxembourgeois qui en faisait partie. C’était un moment tout à fait exceptionnel.

Les athlètes russes et biélorusses vont devoir défiler sous la bannière olympique

L’Olympic Refugee Team est véritablement l’exemple le plus parlant du travail accompli par cette commission?

C’est la partie la plus visible. Le reste se fait de façon plus tamisée. Un travail incroyable est accompli afin de conserver dans le mouvement olympique des pays qui sont en difficulté,
ou qui ont des tensions avec d’autres nations, afin de trouver des solutions. À Pyeongchang lors des Jeux d’hiver 2018, nous avons réussi à faire défiler sous la même bannière la Corée du Nord et la Corée du Sud. Il y a eu également le hockey sur glace une équipe mixte composée de hockeyeurs des deux pays. J’ai pu assister à l’un de ces matchs et c’était une ambiance indescriptible. Ce travail autour des relations entre les États est pour moi extrêmement intéressant à suivre.

Les candidatures pour accueillir les Jeux olympiques sont moins nombreuses qu’auparavant, à l’image des Jeux olympiques 2032 attribués à la ville australienne de Brisbane qui était seule en lice au moment de la 138e session du CIO. Ce genre de cas de figure va-t-il se représenter à l’avenir en raison des lourdes contraintes économiques, mais aussi de l’impact environnemental que peut représenter un événement considérable comme les J.O.?

Le CIO a déjà entrepris d’énormes efforts afin de réduire les coûts avec, par exemple, la mise en place de stades éphémères. On le voit aussi au niveau de la réduction de l’impact environnemental. Paris 2024 sera un très bon exemple dans ce domaine-là. Évidemment, les villes
candidates dépensent aussi beaucoup d’argent pour leurs infrastructures et profitent des Jeux olympiques pour améliorer la cité dans son ensemble. Cela ajoute aux coûts. Y aura-t-il dans le futur des luttes entre les villes pour accueillir les Jeux ? Je l’espère car la concurrence entre les villes est une bonne chose pour obtenir le meilleur dossier de candidature possible.

Olivier Minaire

En tant que membre du CIO, quel est votre avis sur la participation des athlètes russes et biélorusses aux prochains Jeux olympiques de Paris en 2024?

Le CIO est tout à fait clair, et je partage cette ligne : les athlètes russes et biélorusses vont devoir défiler sous la bannière olympique, et cette participation sera uniquement réservée aux sports individuels, il n’y aura pas d’équipe. Il faudra également veiller à ce qu’aucun des concurrents ne se soit prononcé en faveur de la guerre ni montré un quelconque soutien à l’agression russe contre l’Ukraine. C’est une recommandation du CIO, les fédérations internationales doivent prendre leurs responsabilités dans ce domaine, et elles le feront. J’espère en tout cas et de tout cœur qu’un maximum d’athlètes pourra participer aux Jeux de Paris 2024.

Concernant le Luxembourg et son organe olympique de référence, le COSL, le sport luxembourgeois d’élite ne se trouve-t-il pas actuellement dans une phase critique de son développement, avec cette course accélérée vers toujours plus de professionnalisation ?

Un point critique positif ! Et je le crois vraiment, car les infrastructures qui sont mises en place sont tout à fait remarquables et offrent des recherches très poussées afin d’améliorer la performance des athlètes. Il y a toute une formation, le Sportlycée, l’armée, ces structures qui
existent aujourd’hui et permettent à ces jeunes de développer leurs talents dans les meilleures conditions. On voit les résultats se profiler. J’ai bon espoir que ces bons résultats déjà obtenus se multiplient.

Vous étiez récemment à Malte pour soutenir la délégation luxembourgeoise lors des Jeux des petits États européens, qu’avez-vous pensé de la prestation d’ensemble des athlètes du pays ?

La prestation d’ensemble était très bonne. Nous sommes venus avec une délégation de 130 athlètes, d’autres comme Chypre et Malte en avaient davantage. Le ratio était plutôt du
côté luxembourgeois. Nous sommes arrivés troisièmes au classement des médailles, je trouve que c’est très bien. Lors des deux dernières éditions, nous avions terminé premiers, mais on ne peut pas toujours avoir les meilleurs athlètes présents lors des Jeux des petits États. Ils sont surtout
destinés aux jeunes, afin qu’ils aient une confrontation sérieuse face à des challengers contre lesquels ils peuvent montrer leur véritable niveau. En règle générale, les prestations étaient très bonnes. Je peux également affirmer que l’ambiance au sein de l’équipe luxembourgeoise était
extraordinaire. Et c’est aussi vrai pour les JPEE que pour les J.O. (rires). Car il y a toujours des Luxembourgeois qui se déplacent pour soutenir leurs sportifs, et sur les Jeux des petits États ils se font entendre ! Les athlètes se supportent et s’encouragent les uns les autres, donc il y a une ambiance incroyable dans les stades, menée uniquement par les Luxembourgeois. Je crois que c’est une très bonne préparation pour le Team Lëtzebuerg dans son ensemble. Nous étions tous réunis dans le même hôtel, moi-même j’y étais, et j’ai pu les côtoyer au petit-déjeuner, on se croisait dans les couloirs, c’était extrêmement sympathique. On apprend alors à connaître ces athlètes, à apprécier leurs qualités et certains ont un rayonnement très étonnant.

En 1952, votre père le Grand-Duc Jean remettait la médaille d’or à Josy Barthel après sa victoire sur le 1500m des Jeux olympiques d’Helsinki. Rêveriez-vous de pouvoir l’imiter ?

J’en rêve depuis longtemps, comme vous pouvez l’imaginer ! C’est quelque chose d’extraordinaire pour un athlète… Et si au Luxembourg, nous pouvions avoir dans les prochaines années des médailles d’or, ce serait fabuleux. Nous avons obtenu aussi deux médailles d’argent lors des Jeux d’hiver avec Marc Girardelli, et on en était très fiers bien entendu. Mais lors des Jeux d’été, je crois que cela a encore plus de poids que lors des éditions hivernales. Je suis sûr que cela se reproduira prochainement.

L’ambiance au sein de l’équipe Luxembourgeoise était extraordinaire

Olivier Minaire

Quelles sont les avancées récentes qui vous rendent le plus fier dans le développement du sport luxembourgeois ?

C’est d’abord les nombreuses infrastructures sportives qui se sont développées ces dernières années dans toutes les villes et les villages du Luxembourg. Cela permet aux jeunes de s’acclimater au sport très tôt. C’est une chose essentielle que les enfants fassent du sport adapté à leur âge le plus tôt. Aujourd’hui malheureusement, ils ont tendance à rester assis
avec leur smartphone ou une tablette. Il faut les inciter à faire du sport. Quand on a des locomotives sportives, que ce soit en vélo, en natation, quelque soit le sport, cela donne
aux plus jeunes l’envie de se révéler, et d’entrer dans des structures comme le Sportlycée et l’Armée. Ils y sont encadrés avec la volonté d’atteindre des sommets.

Quels sports avez-vous pratiqués dans votre jeunesse ? Et lesquels continuez-vous de pratiquer actuellement ?

J’ai fait beaucoup de ski ! Mais également de la natation, de la voile, j’ai un peu touché à tout. À l’école, j’ai fait beaucoup d’athlétisme, du saut en hauteur notamment, du volley, de l’escrime, de la varappe, du tennis aussi, bien sûr… J’ai toujours aimé le sport, mais j’aime expérimenter des choses différentes. Et pour moi c’était à chaque fois un challenge d’apprendre quelque chose de nouveau. Malheureusement, je ne me suis jamais spécialisé dans un sport en particulier. Sauf peut-être le ski, où j’étais assez fort.

Avez-vous transmis la passion pour un sport ou un autre à l’un de vos cinq enfants ?

Oui, beaucoup. Déjà avec mon épouse nous avions fait beaucoup de ski, mais hélas maintenant son genou l’en empêche. Avec les enfants, on a fait du tennis, de la voile, on fait beaucoup de sport ensemble, cela permet de resserrer les liens, de nous rapprocher, d’avoir des activités communes et de se retrouver à faire des compétitions entre nous.

Si vous deviez nommer le sportif le plus marquant au niveau international et luxembourgeois depuis 25 ans, vers qui iraient vos faveurs ?

Il y en a beaucoup, c’est difficile de faire un choix. Je dirais qu’il y a deux moments où j’ai pensé pouvoir remettre des médailles à des sportifs luxembourgeois. Le premier c’est à Londres, avec Marie Muller. J’ai transpiré avec elle, et mon épouse également. On pensait vraiment qu’elle allait avoir cette médaille de bronze. On connaît le résultat, hélas… mais c’est passé tellement près ! C’était extrêmement émouvant de participer à cet événement, et cela nous a tous fait vibrer au Luxembourg. Évidemment, Andy Schleck à Pékin aussi nous a fait vibrer, mais c’est à Fabian Cancellara que j’ai remis la médaille d’or. On s’effondre dans des moments comme ceux-là ! Ce fut évidemment très dur pour Andy, mais aussi pour tous ses supporters, ainsi que pour tout le pays qui avait mis beaucoup d’espoir en lui.

Vous avez – grâce à votre fonction – le privilège de pouvoir vous rendre à des événements sportifs d’importance, y a-t-il une rencontre avec un sportif qui vous a marqué plus qu’une autre au cours de vos nombreux déplacements ?

(Il réfléchit). J’ai rencontré Jesse Owens lorsque j’étais jeune. C’était lors des Jeux olympiques de Munich en 1972. Évidemment, c’était une image extraordinaire de le revoir aux J.O. en Allemagne 36 ans après les Jeux de Berlin. C’était un homme tout à fait admirable et qui a marqué le sport d’une façon incroyable. Il a aussi fait progresser l’accès au sport pour les personnes de couleur. C’est un homme tout à fait exceptionnel bien au-delà du sport.

Olivier Minaire

C’est un souvenir positif de Jeux olympiques qui se sont hélas révélés tragiques…

Que dire ? Ces attentats de Munich furent véritablement dramatiques. J’avais 16 ans, et à cette époque les enfants des membres du CIO avaient une carte et pouvaient se promener absolument partout, sans contraintes de sécurité, ils pouvaient aller dans le village, accéder aux athlètes.
C’était les derniers Jeux olympiques qui se déroulèrent dans une telle ambiance de liberté et d’ouverture. À cause de ce drame épouvantable, la sécurité est devenue un objectif très important. Cela a changé le caractère des Jeux.

À Londres, on pensait vraiment que Marie Muller allait décrocher cette médaille de bronze

Est-ce qu’à l’instar de SAS le prince Albert de Monaco, vous auriez aimé goûter aux J.O. dans la peau d’un sportif ?

Oui, absolument ! Je trouve que le prince Albert a été très courageux de constituer cette équipe de bobsleigh afin de participer aux Jeux olympiques. Pour moi, c’est trop tard bien évidemment, mais j’aurais bien aimé le faire si j’avais à recommencer ma vie.

En tant que chef de l’État, n’est-ce pas parfois un peu difficile de réfréner ses émotions en public lors d’une prestation sportive, alors que l’on a envie d’exploser intérieurement ?

Pas du tout (rires). Je me lâche, il n’y a aucun problème. Au contraire, quand je suis là, les athlètes le sentent et ils me disent : « Heureusement que vous étiez là, vous m’avez supporté et on a gagné… » Cela leur apporte un surplus d’énergie et ils me le font sentir très fort. Enfin, tout le mérite leur revient, c’est évident. Quand j’ai été voir les matchs de basket à Malte, que ce soit chez les filles ou les garçons, c’était extraordinaire. Les garçons ont ramené une médaille d’or, les dames l’argent, après avoir été battues par le Monténégro en finale, mais on a des équipes qui sont pleines de promesses en sports collectifs.

Heureusement les Jeux Paralympiques prennent de plus en plus d’ampleur dans les médias et à la télévision

Le public se pose peut-être la question, mais par exemple hier dimanche, on disputait la finale de Roland-Garros, a-t-on le loisir de passer un peu de temps à regarder ce genre d’événements à la télévision quand on est chef de l’État ?

Bien sûr ! Je n’ai pas vu tout le match entre Djokovic et Ruud parce que cela dure assez longtemps, mais je dois dire qu’il était intéressant. Il y a eu des échanges de balles assez
fantastiques, même bien sûr Djokovic était le plus fort. La finale dames était tout aussi remarquable également, et mon épouse a suivi le match en direct. Le sport féminin est très
beau à voir aussi, peut-être que parfois, on se focalise trop sur le sport masculin, mais les filles jouent également de manière extraordinaire.

L’égalité hommes femmes dans le sport a pris énormément de retard, selon vous ?

Oui, et le CIO est très strict sur les questions de parité et d’égalité. On doit y arriver, et c’est très important.

Concernant le handisport, beaucoup de travail a également été entrepris pour amener les Jeux paralympiques vers plus de visibilité ?

Le handisport est aussi un sujet véritablement important. Mon épouse fait partie du comité d’honneur des Jeux paralympiques, elle a participé à plusieurs éditions, et moi-même j’étais à
Londres dans ce cadre. C’était une expérience tout à fait sensationnelle. Les Paralympiques ont pris de plus en plus d’ampleur dans les médias, à la télévision, et c’est quelque chose qui permet une meilleure intégration des personnes handicapées dans la société. Un signal très positif.

Olivier Minaire

Que pensez-vous de l’apparition de nouveaux sports aux J.O.? Les Jeux ne sont-ils pas pris en étau entre la volonté de conserver des sports traditionnels et le nécessaire besoin de se renouveler afin de coller aux passions des nouvelles générations ?

L’olympisme en général doit évoluer. Depuis 25 ans que je suis là, il y a eu une énorme évolution. L’apport de nouveaux sports, à condition qu’ils remplissent les critères c’est une bonne chose, car cela permet aux jeunes de suivre les Jeux et de s’imprégner de nouveaux sports, qu’ils pourront pratiquer eux-mêmes par la suite, comme le skateboard, le breakdance… Cette discipline est véritablement un sport à part entière pratiqué par des athlètes de haut niveau. Tourner sur sa tête, ce n’est pas vraiment évident !

L’olympisme, c’est aussi valoriser des sports qui sans cela seraient restés plus confidentiels ?

Les sports qui étaient du streetsport, comme le basket 3×3, ont désormais une reconnaissance. J’ai vu cela à Malte pour la première fois, c’est très spectaculaire ! C’est un sport qui vient de la rue et la présence aux Jeux lui donne de la valeur.

J’ai toujours aimé le sport, mais j’aime expérimenter des choses différentes

Le sport n’est-il pas le meilleur levier afin de donner une image positive du Luxembourg
à l’international ?

Le Luxembourg à travers le sport – et on l’a vu récemment avec les frères Schleck – a marqué le sport international de manière incroyable. Accueillir le Tour de France est aussi très important pour le pays, la publicité qu’on y fait du Luxembourg est formidable, avec les vues d’hélicoptère, les explications historiques… Il n’y a pas meilleure public relation que le sport. Mais si c’est un des leviers, il y en a aussi d’autres.

Finalement, que manque-t-il au sport luxembourgeois afin de rivaliser avec les meilleurs ?

Un million d’habitants (rires). Je pense que c’est une question de nombre de sportifs. Malgré la petite taille de notre pays, on sort à chaque génération, un ou deux athlètes d’exception. Maintenant, avec les infrastructures que nous possédons, je pense que l’on peut avoir des résultats intéressants. Mais, dans le monde, la concurrence devient aussi de plus en plus intense.

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