Alain Massen : « On doit aller chez le coach mental comme on va chez le kiné »

L’approche psychologique et mentale prend une part de plus en plus importante dans la préparation des sportifs de haut niveau. Alain Massen l’a compris avant beaucoup de monde, lui qui accompagne des athlètes depuis une vingtaine d’années. Le psychologue et psychothérapeute évoque son travail, son évolution, et les progrès qu’il reste à faire.

Il reçoit dans son cabinet, dans le quartier de Belair à Luxembourg. Alain Massen est psychologue et psychothérapeute. Mais à 53 ans, en plus de ses patients, il a une autre corde à son arc : il accompagne psychologiquement et mentalement une dizaine de sportifs de haut niveau (tennis, natation, sport automobile, entre autres), « de manière plus ou moins régulière ». Comment en est-il venu à diversifier son activité et à s’intéresser à ce domaine bien particulier ? « J’ai commencé à suivre des sportifs il y a une vingtaine d’années, même un peu plus. Cela s’est fait par hasard, j’ai été mis en contact avec un sportif de haut niveau au Luxembourg qui cherchait un préparateur mental. » À ce moment-là, Alain Massen fait figure de précurseur. « On peut même dire que c’était exceptionnel ici. » Il s’intéresse à ce domaine de compétence, approfondit la question, se forme, notamment pour être en phase avec la recherche de la haute performance. « C’est un travail différent de ce que je faisais et fais toujours avec d’autres patients, mais c’est complémentaire. »

« Pas le même travail avec un coureur de 100 m, un boxeur ou un triathlète »

Aujourd’hui, l’approche psychologique et mentale du sport de haut niveau se démocratise de plus en plus, notamment au Luxembourg. Comment expliquer cet essor, qui ne cesse de prendre de l’ampleur ? « Comme dans beaucoup de domaines, le Luxembourg est toujours un peu à la traîne. Pour les sportifs luxembourgeois, à force de croiser les athlètes d’autres pays dont les fédérations vont parfois jusqu’à attribuer des coachs mentaux, la prise de conscience s’est faite progressivement », constate Alain Massen. « Beaucoup ont commencé à comprendre qu’il ne suffisait pas de travailler l’aspect physique pour réaliser de grandes performances, que la différence entre deux athlètes équivalents sur le plan physique se joue sur le mental. » C’est là qu’intervient le psychothérapeute : « Le travail se fait sur différents niveaux. Il y a d’un côté la recherche de la performance la plus haute, avec des sportifs bien dans leur peau et déjà bien encadrés. De l’autre, il y a aussi des sportifs avec qui il y a un travail autour de l’environnement, des parents, des entraîneurs, etc. Il faut que tout le monde travaille dans la même direction. Il y a également des sportifs qui ont des problèmes extérieurs ou qui ont une perte de confiance après un échec ou un enchaînement de mauvais résultats », énumère le spécialiste. Il n’a pas la même pratique ou ne développe pas les mêmes points en fonction de la discipline de l’athlète : « On n’insiste pas sur les mêmes aspects en fonction des sports, avec un coureur de 100 m, un boxeur, ou un triathlète. Chaque sport a ses spécificités. Sur une course de 100 m, on peut quasiment visualiser sa course en amont sur chaque mouvement. Sur un triathlon, c’est très différent, on a le temps de cogiter, de penser à mille choses, donc on travaille davantage cette endurance psychologique. On utilise différentes techniques. Mon métier est très riche et varié, et j’apprends beaucoup en tant que coach mental. Je me nourris de chaque expérience pour compléter sans cesse mon approche globale. » Plus récemment, le praticien a dû de nouveau s’adapter et se remettre en question avec une période bien spéciale pour tout le monde, et encore un peu plus pour les sportifs de haut niveau : les deux ans de pandémie de Covid-19. « S’entraîner et se torturer tous les jours, mais sans compétition à l’horizon et sans savoir quand cela va reprendre, c’est extrêmement difficile. Pour garder le moral et l’envie, ce n’était pas évident du tout. On a dû travailler sur cette endurance mentale. »

Autre partie essentielle qui entre dans le champ de compétence du coach mental : la gestion du stress. « Des sportifs sont très bons à l’entraînement et prêts, tout est parfait, mais le jour J ou quelques jours avant la compétition, le stress monte, ils ont un nœud dans la gorge, des palpitations. Et à l’instant T, ils sont tellement sous tension qu’ils ont du mal à reproduire leurs performances. C’est important d’avoir un certain niveau de stress en compétition pour être stimulé, pour être prêt à bondir, à se défoncer, en ayant le bon taux d’adrénaline. Mais il ne faut pas qu’il dépasse un certain niveau et qu’il devienne bloquant. »

« Un travail de longue haleine, sur la durée »

À force de prise de conscience et d’ouverture, les choses évoluent au Luxembourg, les mentalités changent et les perspectives s’élargissent. « Il y a une grande différence depuis quelques années, notamment depuis la création du LIHPS (Luxembourg Institute for High Performance in Sports), avec qui je collabore. On est toute une équipe pour la préparation physique, mentale, et pour la nutrition. De nombreux experts travaillent ensemble et l’idée est d’arriver à une bonne coordination entre les différentes spécialités et les apports de chacun, et de travailler tous les aspects pour atteindre une performance de haut niveau. Il s’agit d’une prise en charge globale, qui s’est mise en place progressivement », témoigne Alain Massen.

Tout ce travail commence à payer, on note les retombées au sein des clubs et des fédérations qui s’intéressent de plus en plus à cette approche psychologique. Même si pour obtenir d’importants résultats concrets, il faut savoir se montrer patients : « Il s’agit d’un travail de longue haleine, sur la durée. On voit souvent la psychologie du sport comme si on devait y faire appel lorsqu’il y a un problème… Alors oui, il faut aussi le faire à ce moment-là, mais le vrai entraînement mental s’inscrit dans le calendrier d’entraînement du sportif, au même titre que le physique, la tactique, etc. On doit aller chez le coach mental comme on va chez le kiné, que ce soit avec le spécialiste ou pour des sessions d’exercices que l’on donne à faire. L’approche mentale doit être une composante à part entière de l’entraînement du champion, et c’est en train de se mettre en place. »

« Commencer le plus tôt possible »

Alain Massen voit plus loin pour l’évolution de sa spécialité et de l’approche mentale dans le sport. Pour lui, son utilisation ne doit pas être réservée à l’élite : « Une grande évolution nécessaire est de ne pas attendre qu’un sportif atteigne le haut niveau, le Comité olympique ou les Championnats du monde, pour intégrer l’approche mentale dans son travail. Je pense que c’est important de commencer ce travail avec les fédérations, les jeunes, les champions en devenir. Même à 12 ou 13 ans, ça peut être intéressant d’inclure des aspects de travail mental. Pas au même niveau qu’un athlète de niveau olympique… mais s’intéresser et s’ouvrir tôt à ces techniques peut être une bonne chose. Plus on commence tôt, plus ce sera normal pour nos athlètes de faire appel à un coach mental. »

L’intérêt de l’intégration précoce de cette dimension dans la pratique sportive est aussi d’éviter de passer à côté de futures pépites : certains jeunes ont du talent, des capacités extraordinaires, mais beaucoup ne parviennent pas à passer les caps stratégiques à cause d’un mental défaillant ou plus faible. Plus ils seront accompagnés jeunes, plus nombreux ils seront à atteindre le haut niveau afin de hisser les couleurs luxembourgeoises au sommet. « Mais pour cela, il faut des moyens, et c’est parfois ce qui pèche au niveau des fédérations ou des clubs qui, pour la plupart, ont des marges de manœuvre limitées. Car tout cela a un coût », précise Alain Massen. La performance, la gloire et la victoire ont un prix. Il incombe donc aux différents acteurs de voir ensemble combien ils sont prêts à mettre sur la table pour atteindre le graal dans leurs sports respectifs.

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